Sans oublier d'être heureux

Gainsbourg, Sagan, Yves Saint Laurent, Brigitte Bardot, Chanel : par son cycle français de biographies, Marie-Dominique Lelièvre a débusqué l’intimité de brûlantes icônes nationales, brossant le portrait décapant d’une époque et réussissant à y entraîner le plus grand nombre, néophytes ou pas. Foisonnant d’émotions et de découvertes, parfois dérangeantes, chaque livre est un événement.
Avec Fortune en France, à l’inverse, elle mène l’enquête sur un homme qui a recherché l’invisibilité, l’industriel et patron de presse Claude Perdriel. De sa réussite industrielle ou de ses journaux, bien peu a été dit de cet homme discret. Lui dont les magazines ont inventé la success story à la française, il a gardé la sienne dans l’ombre.
Enfant mal-aimé, il voulait changer le monde et il l’a fait. Riche grâce à ses inventions industrielles, cet homme de gauche a mis sa fortune au service de ses convictions, créant de grands journaux, Le Nouvel Observateur, Le Matin de Paris. Pendant plusieurs décennies, Le Nouvel Observateur conduit par Jean Daniel, auquel Claude avait réussi à faire partager son rêve, a été le grand hebdomadaire d’influence pesant non seulement sur la vie politique, mais forgeant une nouvelle identité collective.
Si ce beau destin est si riche, c’est que Claude Perdriel n’a jamais rien fait comme les autres et s’est entièrement inventé. Qu’il soit l’amant de Françoise Sagan, qu’il dirige la campagne de François Mitterrand, qu’il invente le Sanibroyeur ou la douche Kinemagic, qu’il se refasse après une faillite, qu’il bataille contre les Chinois et refuse de délocaliser, qu’il décide de gagner l’America’s Cup ou qu’il s’éprenne d’une femme très jeune, qu’il invente sa diététique ou s’envole pour le Japon, chaque fois il se montre fabuleusement imaginatif.
De son argent, cet homme de gauche n’a jamais eu honte. Il l’a utilisé pour embellir la vie, celle de ses lecteurs comme celle des ses proches, et la sienne aussi. Journaux engagés, certes, mais aussi fêtes à Saint-Tropez, jazz et champagne, maisons magnifiques en Toscane, à Megève ou à Paris, tableaux d’exception, jet privé, il n’a jamais été un hypocrite. En lui, il y a du Gatsby et du Citizen Kane, mais dans une version heureuse. Car l’histoire de Claude Perdriel, c’est celle d’un homme qui a naïvement cherché le bonheur et qui l’a trouvé, souvent.

Puisant dans une centaine d’entretiens réalisés la moitié avec Claude Perdriel, l’autre avec des membres de sa famille, des proches, des concurrents, des partenaires et des collaborateurs, des amis et sur quantité d’archives, Marie-Dominique Lelièvre a reconstitué l’histoire de cet homme volontairement discret. À travers une série d’instantanés ciselés et percutants, braquant sur ce citoyen français aussi influent qu’invisible sa plume ultra-sensible, l’auteur traque, dévoile, met en scène tous les secrets, intimes ou non, d’un personnage qui, contre toute attente, se révèle extraordinairement romanesque.