Enfin libre.
Grandir quand tout s'écroule
par Lea Ypi
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Date de parution 21 oct. 2022 | Archivage 29 déc. 2022
Éditions du Seuil | Littérature étrangère
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Résumé
Lea Ypi est née en Albanie, le plus fermé et le plus stalinien des États satellites de l’Union soviétique en Europe. Ses parents, assoiffés de liberté, ont épousé la cause de la démocratisation dès la chute du régime honni. Aujourd’hui, Lea Ypi enseigne le marxisme dans une prestigieuse faculté de Londres.
Les jalons de ce parcours inattendu sont posés dès l’enfance. Dans une passionnante autobiographie politique, écrite à hauteur d’enfant, l’autrice décrit son amour des pionniers et du leader Enver Hoxha, sa fascination pour les réclames sur la télé italienne captée clandestinement, les files d’attente devant les magasins, les premières cannettes de Coca et la relation pleine de complicité avec sa grand-mère, fille de pacha de Thessalonique qui lui enseigne le français. En 1990, tout bascule. Ses parents, délivrés de leurs « origines bourgeoises », s’engagent en politique. Mais très vite, c’est l’ébranlement de tout un pays sous le choc néo-libéral. Rien n’est plus comme avant. Les usines ferment, tous cherchent à rejoindre l’Italie, les fusils font la loi. La jeune fille est prise dans un tourbillon politique qui est aussi un vacillement intime : qu’est-ce qu’être libre ?
Un magnifique récit aussi poignant que cocasse.
Lea Ypi est professeur de théorie politique à la London School of Economics. Enfin libre est son premier livre.
Traduit de l'anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson.
Lea Ypi est née en Albanie, le plus fermé et le plus stalinien des États satellites de l’Union soviétique en Europe. Ses parents, assoiffés de liberté, ont épousé la cause de la démocratisation dès...
Formats disponibles
FORMAT | Grand Format |
ISBN | 9782021467628 |
PRIX | 23,50 € (EUR) |
PAGES | 336 |
Chroniques partagées sur la page du titre
Lea Ypi propose sa toute première œuvre, qui n'est rien d'autre que le récit de sa vie dans le pays qui l'a vu naître puis grandir, l'Albanie. Peut-être le pays d'Europe le plus discret, guère familier à nos yeux d'européens si ce n'est pour être le voisin de la Grèce, ou en tout cas pour avoir été celui qui fut pris en étaux dans la dictature la plus dure de l'Europe. C'est un témoignage que j'avais ainsi très envie de lire, d'avoir enfin une vue sur ce pays qui apparaît très peu dans le fil de nos informations quotidiennes, dont la littérature reste assez confidentielle en dehors d'Ismaïl Kadaré, qui le représente avec honneur. Lea Ypi vit désormais à Londres depuis qu'elle a fui son pays, c'est de là-bas qu'elle a remonté le fil de son passé, avec sa vision et acuité d'adulte et le recul des kilomètres et des années.
Je me suis plongée dans une société totalement opaque, dont les noms des principaux et récents gouvernants me sont aussi inconnus que son histoire, à savoir Enver Hoxha président de la République populaire d'Albanie jusqu'en 1990, et le roi Zog 1er, les principaux cités : le fait de savoir que cette dictature s'est détachée de l'URSS, et de son communisme trop laxiste pour son dirigeant refusant la déstalinisation de 1956, pour se rapprocher de la Chine et de son régime, m'a longtemps interrogée. Lea Ypi apporte les réponses souhaitées, démystifie son pays et cette aura de mystère que lui conférait ce repli absolu sur soi du pays. Le couple de ses parents est une illustration parfaite du carcan imposé à chacun, broyé par le poids de ces lois, de ces interdits et obligations qui visaient à tout répertorier et hiérarchiser. Première chose qui m'ait marquée, c'est cette biographie, que Lea Ypi ne cesse d'évoquer, à laquelle se résume la vie de chaque Albanais : une sorte de casier judiciaire en civile, ou de curriculum vitae, qui comptabilise les bons et mauvais points des citoyens, qui les maintient au bas de l'organigramme. Cette volonté de contrôle obsessionnel assez délirante donne un premier aperçu de la dictature balkanique. Les choses ne s'arrêtent évidemment pas là. L'auteure confie qu'elle s'est véritablement rendu compte de l'ampleur de l'épaisseur des barreaux qui les tenaient étroitement prisonnier à la chute du régime. Les langues se délient, en premier lieu celles de sa famille, ses parents et sa grand-mère qui loge avec eux. Les dernières traces de la comédie qu'ils ont jouée, pendant des années, s'effacent à la lumière d'une liberté aussi nouvelle qu'aveuglante, ils ne savent plus qu'en faire. Et il est effarant de constater à quel point ce pays s'est retranché sur lui-même, faisant de tous ses voisins, de ses anciens alliés - soviétiques, Chine - et du reste du monde, des ennemis de facto, reprochant aux uns et aux autres de pratiquer un capitalisme débridé et une inégalité flagrante ne faisant que diviser son peuple.
L’expérience des premières années de vie de Lea Ypi, qui sommes toutes ressemble à bien d'autres, constitue une véritable page d'histoire albanaise, essentiellement du XXe siècle puisque la véritable date de naissance de ce pays unifié date de 1912, lorsque Zog s'est autoproclamé roi des Albanais jusqu'à l'invasion des fascistes italiens en 1939, la libération du pays en 1944. La lignée familiale de Lea Ypi est un parfait exemple de l'évolution de l'histoire albanaise, de ceux qui sont particulièrement surveillés, car filles et fils de dissidents, une grand-mère grecque d'origine, pur héritage d'une famille jadis puissante et pourtant très progressiste, un père pétri d'idéologie socialiste et un aïeul ancien Premier ministre collaborateur. Cette grand-mère est à la fois touchante dans l'aide qu'elle apporte à sa petite-fille et admirable, ayant appris le français dans sa jeunesse au lycée français de Thessalonique, elle l'utilise comme un outil de résistance, une bulle de liberté qu'elle s'accorde au milieu des exigences de la dictature. Le récit de la fille que l'auteure était rend compte de tous ces silences et mensonges qui ont été le ciment de son enfance, qu'ils viennent de sa propre famille, dans un élan protecteur, figée dans la terreur de devenir opposants au régime, ou par l'institution scolaire, figée, quant à elle, dans des élans propagandistes les plus éhontés qu'ils soient. C'est particulièrement notable lorsque la jeune Lea est confrontée aux quelques touristes qui osent s'aventurer dans ce coin des Balkans, qui n'auraient pas été considérés avec plus d'antipathie que s'ils étaient arrivés de Neptune, et le chewing-gum et le coca comme des objets presque sataniques par les autorités, mais tellement attirants pour ces enfants, autant que pour les adultes.
Il est saisissant de constater à quel point le régime albanais a pu gommer l'identité de son peuple, où chaque citoyen se doit d'avoir une biographie aussi exhaustive qu'une liste de courses le premier du mois, et notamment à travers la religion, que les Albanais se réapproprient après la chute du gouvernement : Lea redevient musulmane, se réapproprie le passé familial aux racines multiculturelles - tout ce que l'Albanie des années de fer abhorrait - et s'autorise à vivre au-delà des attentes des uns, des autres, codifiées, écrites par avance. Cette chute est en réalité une libération, des esprits, de la parole et pour les parents de Lea, le temps d'une séparation. La réalité alternative qu'avait construite pierre après pierre la dictature de Hoxha s'effondre, les illusions aussi, si certains restent en Albanie, d'autres prennent la mer pour rejoindre l'Italie, la voie principale vers un avenir qui fera de Lea Ypi un professeur dans un pays de cet ouest, longtemps décrié par la défunte dictature, et dont elle a adopté la langue, puisque c'est en anglais qu'elle a posé son récit par écrit.
L'auteure conclut son récit en évoquant l'idéologie qui a ruiné la première partie de sa vie, et contraint à fuir définitivement son pays en bateau, et qu'elle s'attache à recadrer lors de ses cours à l'université. De sa propre expérience du communisme, elle rend compte, et à juste titre, du fossé qui la sépare de ces militants qui s'appuient sur des figures mortes pour ériger leur idéologie du socialisme en étendard, totalement dévoyée pour elle qui l'a vécu pendant douze ans. Une part d'elle-même à démystifier ce que ces révolutionnaires en carton ne considèrent comme une dérive alors même que d'autres ont succombé aux mêmes dérives lorsque la tentation du marxisme s'est concrétisée.
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